Alors que l’autobiographie est censée suivre une chronologie classique, l’histoire de sa naissance et donc de ses origines arrive seulement au chapitre 6 de son roman. Très vite, cette histoire est d’ailleurs balayée et ramenée à son absence de souvenirs à cause de la guerre qui l’a privé de sa famille. Né d’une mère juive déportée à Auscwhitz et d’un père envoyé sur le front, Perec, élevé en zone libre, n’a pas d’histoire d’enfance, pas de racines, seulement le blanc de l’absence qui a effacé les traces de ses parents.
Face à cette absence de souvenirs, Perec décide d’écrire l’histoire de sa vie en laissant les manques être comblés par la fiction. L’ouvrage repose sur l’entrelacement de deux récits, chacun divisé en deux parties : Le but est de raconter deux histoires, l’une fictive, l’autre réelle. Le titre par lui-même refuse de faire ce choix: W, une île utopique, ou le souvenir d’enfance : celui de Perec.
Pourtant, ce qui est intéressant dans ces 4 récits c’est que le fictif emprunte au réel et le réel compense son absence de souvenirs par les ressorts de la littérature. Ce récit est donc avant tout une enquête autobiographique dans laquelle l’auteur met en avant la dispersion et la fragmentation de ses souvenirs, un reflet de l’identité éclatée de Perec. Plus encore, cette enquête autobiographique se double d’une enquête plus large, sur l’histoire et sur la nature du régime concentrationnaire à travers la mise en place d’un monde dystopique, basé sur le culte du sport.
Loin d’une autobiographie classique, linéaire et ancrée dans une réalité strictement factuelle, le récit de Perec s’affranchit des codes traditionnels. En intégrant la fiction pour combler les lacunes de sa mémoire, il reconnaît celles-ci et confie à la littérature le soin de tisser du lien avec ceux qu’il n’a pas ou peu connu, et donc d’une certaine manière, d’écrire ou réinventer son histoire. Le pacte autobiographique classique tel que l’a défini Philippe Lejeune repose sur “un récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence ». Si l’auteur ne garantit pas une vérité absolue, il s’engage dans une démarche d’honnêteté. Dès lors, l’usage de la fiction devient une autre forme de sincérité : il ne s’agit plus de dissimuler ses oublis, mais de les assumer en explorant une nouvelle façon d’écrire son passé, entre réalité et fiction, ouvrant ainsi la voie à de nouveaux horizons autobiographiques.