Un modèle sécuritaire extrême : la « méthode Bukele »
En quelques années, Nayib Bukele a instauré au Salvador une politique de sécurité à grande échelle visant à éradiquer la violence des gangs, un fléau qui gangrène le pays depuis des décennies. Parmi les éléments phares de sa stratégie : une succession d’états d’urgence, la militarisation de la sécurité publique, des arrestations massives, des procès collectifs et la construction de « méga-prisons » pour accueillir des milliers de détenus. Ces mesures drastiques, popularisées sur les réseaux sociaux, ont permis au Salvador d’afficher une réduction impressionnante de 93 % du taux d’homicides entre 2018 et 2023, selon les chiffres officiels.
Dates Importantes | Chiffres Clés |
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2022 : Instauration de l’état d’urgence au Honduras pour faire face à la criminalité, inspiré du modèle salvadorien. | 93 % : Réduction du taux d’homicides au Salvador entre 2018 et 2023 grâce à la politique sécuritaire de Bukele. |
2023 : Équateur fait appel à des ingénieurs salvadoriens pour construire des centres de détention de haute sécurité. | 90 % : Taux de popularité de Bukele au Salvador en 2023, selon Latinobarometro. |
Février 2024 : Réélection de Nayib Bukele avec 82,66 % des voix, marquant un large soutien populaire à sa politique sécuritaire. | 48 % : Proportion des Latino-Américains soutenant la démocratie en 2023, reflet d’une désillusion démocratique croissante. |
Mars 2024 : Human Rights Watch dénonce un dilemme imposé par Bukele entre sécurité et droits humains. | 82,66 % : Score électoral de Bukele lors de sa réélection en 2024, consolidant sa position politique. |
2024 : Santiago Pena, président du Paraguay, adopte des pratiques inspirées de Bukele pour gérer les prisons locales. | 20 000 prisonniers : Capacité de la méga-prison construite sous la présidence de Bukele, visant à contenir les membres de gangs. |
Ces résultats, associés à un taux de popularité de 90 % en 2023 (selon Latinobarometro), montrent un « miracle Bukele » qui fascine au-delà des frontières salvadoriennes. Malgré des atteintes aux libertés individuelles et aux droits de la presse, les résultats obtenus dans la lutte contre l’insécurité trouvent un écho favorable en Amérique latine. Rafael López Aliaga, maire de Lima, a salué publiquement la « méthode Bukele », tandis que plusieurs dirigeants de la région, issus de tendances politiques variées, se sont inspirés de certaines de ses pratiques.
« Bukele est un surdoué de la communication, et celle-ci s’adresse davantage aux populations latino-américaines qu’à leurs dirigeants », selon Tamara Espineira, enseignante à Sciences Po Rennes.
Une influence régionale : la « Bukélisation » de l’Amérique latine
Le modèle Bukele ne s’arrête pas aux frontières du Salvador. Au Honduras, la présidente Xiomara Castro a prolongé l’état d’urgence instauré en 2022 pour faire face à l’insécurité, annonçant même la création d’une colonie pénitentiaire sur les îles Swan destinée aux chefs de gangs. En Équateur, le président Daniel Noboa a fait appel aux ingénieurs salvadoriens pour construire des centres de détention de haute sécurité. Santiago Pena, président du Paraguay, s’est également inspiré des méthodes de Bukele en appliquant des pratiques similaires pour gérer les prisons locales.
Le succès de cette expansion s’explique en grande partie par la forte médiatisation de la politique de Bukele. Des vidéos montrant des détenus entassés dans des prisons sont diffusées massivement, suscitant l’intérêt des populations latino-américaines confrontées à une insécurité endémique. Bukele maîtrise l’art de la communication, se présentant sur les réseaux sociaux et à l’ONU comme le promoteur d’un modèle exportable de lutte contre l’insécurité.
Cependant, les critiques affirment que cette « Bukélisation » incarne un dangereux glissement vers l’autoritarisme. Selon un sondage de Latinobarometro, seulement 48 % des Latino-Américains soutenaient la démocratie en 2023, ce qui reflète une lassitude croissante vis-à-vis des institutions démocratiques perçues comme inefficaces face à l’insécurité. Ce désenchantement, accentué par des décennies d’instabilité et de violence, facilite l’acceptation d’une politique sécuritaire autoritaire.
« Bukele a enfermé le pays et la région dans un faux dilemme, comme si les citoyens devaient choisir entre sécurité et droits humains », explique J. Goebertus, directrice Amériques de Human Rights Watch.
Sécurité contre droits humains : un modèle à double tranchant
Le modèle Bukele suscite un débat sur l’équilibre entre sécurité et droits humains. La concentration des pouvoirs, les restrictions aux libertés individuelles et le contrôle des médias, des caractéristiques du modèle salvadorien, inquiètent les observateurs internationaux. Selon Human Rights Watch, cette approche impose aux citoyens un choix biaisé entre une vie sécurisée et la défense de leurs droits fondamentaux.
Si la méthode Bukele attire les regards et inspire des dirigeants en quête de solutions rapides à la criminalité, elle représente aussi un tournant qui pourrait affaiblir les institutions démocratiques en Amérique latine.