En tant que moraliste, c’est-à-dire écrivain qui peint les mœurs, La Bruyère cherche à se faire miroir des attitudes qu’il rencontre. Mais, on devine aussi une dimension plus critique dans son œuvre. Par ellipse, l’opinion de l’auteur ainsi que l’idéal de l’honnête homme qu’il défend transparaissent.
En France, le XVIIème siècle est marqué par le long règne du roi Louis XIV, qui dure 72 ans et voit l’apparition de ce que le sociologue Norbert Elias a appelé la “société de cour”. La cour entourant le roi forme une véritable société au sein de laquelle les rivalités sont exacerbées, chacun souhaitant jouir des faveurs du souverain. Le paraître occupe alors une place essentielle : il est important de se faire bien voir, quitte à être hypocrite. Jean de La Bruyère est témoin des comportements adoptés par les courtisans du roi.
Dans Les Caractères, il les met en lumière. Au Livre VIII (De la cour), il écrit : “L’on dit à la cour du bien de quelqu’un pour deux raisons : la première, afin qu’il apprenne que nous disons du bien de lui ; la seconde, afin qu’il en dise de nous”, et souligne ainsi qu’à la cour, les relations sont majoritairement superficielles et font primer l’intérêt personnel sur le reste. Si la majorité de ces remarques sont descriptives, on note aussi des commentaires plus normatifs comme celui qui clôt le livre VIII : “Un esprit sain puise à la cour le goût de la solitude et de la retraite” ; voire dénonciateurs tels que la 58e réflexion du livre VI (Des biens de fortune) : “Il y a des âmes sales, pétries de boue et d’ordure, éprises du gain et de l’intérêt […]. De telles gens ne sont ni parents, ni amis, ni citoyens, ni chrétiens, ni peut-être des hommes : ils ont de l’argent”.
Face aux faux semblants de la société du XVIIème, La Bruyère prône en filigrane la figure de l’honnête homme qui cultive son esprit, est exempt de pédantisme et est méritant. L’homme d’esprit sait s’éloigner de la cour et n’essaie pas de paraître pour ce qu’il n’est pas. Si La Bruyère décrit et critique la société de cour, il aborde aussi d’autres sujets dans Les Caractères, tels que la figure particulière du monarque, la ville, ou encore le tiers-état. L’ensemble de son œuvre lui permettra de rejoindre l’Académie française en 1693.