L’Afrique de l’Ouest à bout de souffle face à la razzia des ressources marines

Qui profite du pillage des océans en Afrique de l’Ouest ?

L’Afrique de l’Ouest à bout de souffle face à la razzia des ressources marines

Qui profite du pillage des océans en Afrique de l’Ouest ?

Le long des côtes ouest-africaines, des communautés entières dépendent des richesses marines pour leur subsistance. Pourtant, ces ressources vitales sont aujourd'hui menacées par une exploitation effrénée, souvent illégale, orchestrée par des flottes étrangères.

La côte ouest-africaine, s’étendant du Maroc à la Côte d’Ivoire, est réputée pour ses abondantes ressources halieutiques. Ce trésor marin est en grande partie dû à un phénomène d’upwelling, où des remontées d’eaux froides riches en nutriments favorisent la prolifération du plancton, base de la chaîne alimentaire marine. Cette dynamique naturelle soutient des espèces prisées telles que la sole et le poulpe. Cependant, une exploitation excessive menace cet équilibre fragile. Selon des estimations, 51 % des espèces essentielles à l’alimentation des populations côtières sont en voie de disparition, principalement en raison d’une pêche illégale qui sévit depuis plusieurs années.

Cette pêche illégale est majoritairement le fait de navires étrangers, notamment en provenance d’Europe et de Chine. La Chine, en particulier, est reconnue comme le premier pays au monde en matière de pêche illégale. Ses flottes prélèvent des quantités de poissons dépassant largement la capacité de régénération des stocks, violant ainsi les régulations en place. Ces navires opèrent souvent sous des pavillons africains ou utilisent des prête-noms pour dissimuler leurs activités. Équipés de chaluts à panneaux, ces bateaux détruisent les habitats marins, endommagent les fonds océaniques et perturbent les cycles naturels des nutriments, réduisant ainsi la productivité et la biodiversité des écosystèmes marins. On estime que 20 % des poissons pêchés illégalement dans le monde proviennent des eaux ouest-africaines.

Dates clésChiffres clés
2005 : Un rapport commandé par le DFID révèle que la pêche illégale coûte à l’Angola environ 49 millions de dollars par an.2,3 milliards de dollars : Perte annuelle estimée pour six pays ouest-africains en raison de la pêche illégale.
2018 : Une étude du CPCO indique que la production halieutique globale de la zone CEDEAO est de 879 713 tonnes.170 milliards de FCFA : Pertes annuelles dues à la pêche illicite pour sept pays d’Afrique de l’Ouest.
2020 : Un rapport de la FAO conclut que les ressources de sardinelles et de bongas sont surexploitées en Afrique de l’Ouest.500 000 tonnes : Quantité de poisson extraite illégalement chaque année, pouvant nourrir 33 millions de personnes.
2021 : Greenpeace et Changing Markets Foundation publient un rapport dénonçant la transformation de petits poissons en farine pour l’aquaculture, privant ainsi les populations locales de ressources alimentaires essentielles.12 millions de personnes : Nombre d’emplois générés par le secteur de la pêche en Afrique de l’Ouest.
2022 : Amnesty International publie un rapport sur les conséquences dévastatrices de la surpêche en Gambie, mettant en évidence les impacts sur les communautés locales.80 % : Proportion de pêcheurs artisanaux au Ghana, représentant 107 500 individus.

Les conséquences de cette exploitation illégale sont multiples. Premièrement, elle compromet la sécurité alimentaire des populations locales. Les 500 000 tonnes de poissons pêchés illégalement chaque année pourraient nourrir 33 millions de personnes dans la région. Plus de 50 % des protéines animales consommées en Afrique de l’Ouest proviennent des produits de la mer ou des eaux douces, faisant des ressources halieutiques une composante essentielle de l’alimentation locale.

Deuxièmement, le secteur de la pêche est une source majeure d’emploi, avec environ 12 millions de personnes impliquées dans la pêche et la transformation du poisson. Au Ghana, par exemple, la pêche artisanale représente près de 80 % des activités de pêche, employant 107 500 pêcheurs. Les activités de transformation, souvent réalisées par des femmes, jouent un rôle crucial tant sur le plan économique que culturel. Au Cap-Vert, la technique traditionnelle de salage et de séchage du poisson est un exemple de ces pratiques ancestrales menacées par la diminution des captures.

La pêche illégale en Afrique de l’Ouest compromet la gestion des réserves de poissons, perturbe les processus réglementaires et menace la sécurité alimentaire des communautés côtières. 

De plus, les pêcheurs locaux subissent des pertes matérielles dues aux activités illégales. Au Sénégal, il est estimé que les trois quarts des équipements des pêcheurs artisanaux ont été endommagés par des chalutiers industriels, les responsables échappant souvent aux sanctions et les victimes ne recevant que rarement des compensations.

La pêche illégale ne se contente pas d’appauvrir les ressources marines et de priver les populations locales d’une source essentielle de nourriture. Elle pèse également lourdement sur les économies ouest-africaines. Les États côtiers subissent un manque à gagner estimé entre 2 et 9 milliards de dollars par an, un chiffre qui reflète les pertes fiscales, les impacts sur l’emploi et les destructions matérielles infligées aux pêcheurs locaux. En l’absence de contrôle efficace, ces ressources naturelles, qui devraient être un levier de développement, sont siphonnées par des intérêts étrangers.

Un pillage aux conséquences économiques colossales

La faiblesse des moyens de surveillance constitue un facteur clé de ce pillage. La zone économique exclusive (ZEE) des pays d’Afrique de l’Ouest s’étend sur des centaines de kilomètres et est particulièrement difficile à surveiller. Peu d’États disposent de flottes suffisantes pour patrouiller efficacement leurs eaux, et les programmes de contrôle sont souvent sous-financés. Les accords de pêche conclus avec certaines puissances étrangères, bien qu’ayant un cadre légal, souffrent d’un manque criant de transparence, favorisant l’exploitation abusive des stocks. Ainsi, des flottes chinoises, européennes et russes profitent des failles réglementaires et de la corruption pour prolonger leurs activités au-delà des quotas autorisés.

Dans ce contexte, les États africains tentent de réagir, souvent sous la pression d’organisations internationales et d’ONG. La Mauritanie, par exemple, a renforcé ses patrouilles maritimes en partenariat avec l’Union européenne, tandis que le Sénégal a multiplié les arrestations de navires illégaux ces dernières années. Pourtant, ces initiatives restent insuffisantes face à l’ampleur du phénomène et aux méthodes sophistiquées employées par les chalutiers industriels pour masquer leurs pratiques.

La pêche illégale est une attaque économique directe contre les pays côtiers, détournant des milliards de dollars de ressources naturelles qui pourraient servir à leur développement.

Face à l’effondrement des stocks et aux pertes financières, les pêcheurs locaux adoptent diverses stratégies pour s’adapter à cette nouvelle réalité. Certains tentent de se reconvertir dans d’autres activités, mais le manque d’alternatives économiques rend ce changement difficile. D’autres, au contraire, prennent la mer plus loin et plus longtemps, mettant leur vie en péril dans des embarcations non adaptées à la haute mer. Cette situation a conduit à une augmentation des accidents et des disparitions en mer, notamment au large du Sénégal et de la Mauritanie.

Les communautés côtières organisent également des mobilisations pour dénoncer les pratiques des flottes étrangères et exiger une meilleure protection de leurs ressources. Des organisations de pêcheurs, comme celles basées en Guinée et au Ghana, tentent de structurer un dialogue avec les autorités locales pour imposer des restrictions plus strictes aux navires étrangers et défendre la pêche artisanale.

La résistance des communautés locales

Une solution alternative étudiée consiste à renforcer la transformation locale du poisson, afin d’augmenter la valeur ajoutée des produits marins avant leur exportation. Plutôt que de vendre du poisson brut aux entreprises étrangères, certaines coopératives s’organisent pour produire du poisson séché, fumé ou transformé en produits alimentaires, conservant ainsi davantage de richesses au sein des communautés locales. Le développement d’aquacultures durables est aussi exploré, bien que les infrastructures nécessaires pour une telle transition restent encore limitées.

Face aux ravages de la pêche illégale, des initiatives internationales voient progressivement le jour. L’Union européenne, sous la pression des ONG, a commencé à réévaluer certains de ses accords de pêche avec l’Afrique de l’Ouest, notamment en Mauritanie et au Sénégal. De son côté, la FAO a mis en place des programmes de surveillance maritime visant à identifier les navires frauduleux, mais leur efficacité dépend encore des moyens alloués par les États concernés.

Les pêcheurs ouest-africains ne demandent pas l’arrêt de la pêche industrielle, mais une régulation efficace qui leur permette de vivre dignement de leur travail.

En 2018, la création du Global Fishing Watch, une plateforme de surveillance satellitaire des activités de pêche, a marqué une avancée majeure dans la transparence des flottes industrielles. Ce système, qui permet de suivre en temps réel les mouvements des chalutiers, a permis d’exposer certaines pratiques illégales, notamment en Gambie et en Guinée-Bissau. Toutefois, de nombreux navires contournent ces dispositifs en désactivant leurs balises GPS, compliquant leur traçabilité.

La mobilisation internationale est donc un levier essentiel pour endiguer le pillage des côtes ouest-africaines. Si des actions concrètes ne sont pas rapidement mises en œuvre, les perspectives sont alarmantes : la surexploitation actuelle pourrait provoquer un effondrement irréversible des stocks halieutiques dans certaines zones d’ici à 2030, avec des conséquences désastreuses pour les populations côtières.

Crédit photo : Shutterstock Suburbanium

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