La France extrêmement vulnérable face au risque nucléaire

La France aura-t-elle les moyens d’assurer sa dissuasion nucléaire dans le futur ?

L'enjeu

Sujet peu débattu dans le paysage politique français, les enjeux de la dissuasion nucléaire française sont généralement mis sous le tapis quand la majorité des informations ne sont pas classifiées secret défense. Pourtant, ce pilier stratégique soulève des questions cruciales : le coût croissant des technologies nécessaires pour maintenir cette force, la légitimité de cette stratégie face aux évolutions géopolitiques, et l'adéquation de cette dissuasion avec les attentes des citoyens dans un contexte de transition écologique et budgétaire.

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L'intervenant

Benoît Pélopidas est chercheur titulaire de la chaire d'excellence en études de sécurité à Sciences Po (CERI) mais également chercheur affilié au Centre pour la sécurité internationale et la coopération (CISAC) à l'Université Stanford et au European Leadership Network. Il a fondé Nuclear Knowledge, le premier programme universitaire français indépendant et transparent d'études nucléaires. Son dernier ouvrage Repenser les choix nucléaires (2022) fait aujourd'hui office de référence.

Alors qu'avec le conflit armé en Ukraine, la menace d'une guerre nucléaire a été remise au premier plan, le chercheur indépendant, professeur à Sciences Po Paris sur les sujets nucléaires, estime qu'il est urgent de mettre sur la table tous les éléments de notre politique de dissuasion nucléaire pour enfin briser le dernier sujet tabou de la Ve République.

Dans une frappe nucléaire contre la France, ce n’est pas la démocratie qu’on cherche à sauver, mais l’État nucléaire capable de riposter

Quel est le coût total de notre dissuasion nucléaire française ? 

Nous savons que le coût officiel d’environ 50 milliards d’euros est une sous-estimation, parce qu’il y a des informations qui sont d’emblée confidentielles. Les coûts de construction des sous-marins nucléaires qui ont pour vocation de naviguer jusqu’en 2090 sont classifiés, par exemple. Il y a ensuite des coûts induits qui verrouillent des choix budgétaires, tels que la relance d’une filière d’industrie nucléaire pour entretenir notre dissuasion, comme l’a expliqué le président Macron dans son discours du Creusot. 

Avec les difficultés budgétaires que connaît aujourd'hui le pays, allons-nous pouvoir continuer à financer notre dissuasion nucléaire ?

Préalablement à la question budgétaire, je pense qu’il faut se poser la question suivante : à quoi servira notre arsenal nucléaire, que l’État approvisionne à coups de milliards d’euros ? Jusqu’à présent, les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) que nous construisons,  sont censés servir jusqu’en 2090. Or, en termes de durée, cela revient à faire un pari très audacieux sur l’idée que ces armes nucléaires seront encore utiles à notre défense. Ce serait comme parier sur l’effondrement de l’Union soviétique avant même qu’elle n’existe. 

Comment s'assurer donc que nos armes nucléaires vont servir notre dissuasion nucléaire jusqu'en 2090 ?

Il existe quatre types d’ennemis que la France peut identifier entre aujourd’hui et 2090. Si le premier ne peut être dissuadé qu’avec des armes nucléaires, alors dans ce cas-là, la politique que nous suivons est idéale. Le deuxième type d’ennemi est celui qui est dissuadable par des armes nucléaires ou d’autres moyens militaires ou diplomatiques, rendant la situation plus flexible quant à l’arsenal dont nous devons disposer. Le troisième type est un ennemi non dissuadable, prêt à mourir et qui désire nous détruire. Dans ce cas, posséder des armes nucléaires ne sert à rien mais nous transforme en une cible prioritaire car l’ennemi a intérêt à nous éliminer d’abord.  Enfin, le quatrième type d’ennemi, c’est le risque du réchauffement climatique ou d’une attaque numérique, un danger contre lequel les armes nucléaires ne servent strictement à rien mais qui nécessitera davantage de dépenses pour les sécuriser en cas de vol ou d’accident. 

La France compte environ 300 têtes nucléaires dans son arsenal. Est-ce suffisant pour dissuader un ennemi comme la Russie qui en possède des milliers ? 

Rédigé dans les années 1950, un rapport de la Protection civile estime qu’il suffit de 10 frappes, soit 10 armes qui atteignent la France pour détruire définitivement le pays et le rendre impossible à reconstruire. Donc notre nation est extrêmement vulnérable. Une étude récente de collègues de l’Université Rutgers dans le New Jersey, menée par le climatologue Alan Robock, suggère qu’il suffit de 100 armes de la taille de celle qui a frappé Hiroshima, pour produire un hiver nucléaire, sachant qu’actuellement toutes les armes existantes sont très au-dessus de la capacité de destruction d’Hiroshima. Avec cet élément là en termes de ravages, on n’est plus dans un monde conventionnel. Il suffit d’un nombre limité d’armes nucléaires pour suffire à faire d’énormes dégâts. 

S'il ne suffit pas d'avoir des milliers d'ogives pour détruire un pays, pourquoi des pays comme la Russie construisent-ils des missiles nucléaires hypersoniques ?

Cela peut en effet apparaître dérisoire. Prenons l’exemple de la bombe à hydrogène et de sa conception, alors que les États-Unis détiennent déjà des bombes atomiques. Le 31 janvier 1950, le président Truman prend la décision de développer la bombe H suite à une réunion qui dure 7 minutes. Au cours de cette réunion, ses conseillers lui disent que c’est une arme génocidaire et qu’il ne faut pas la développer. La question que Truman a alors posée est la suivante : est-ce que les Soviétiques peuvent le faire ? On lui a répondu que oui. Il a tranché : alors, on n’a pas le choix, il faut le faire. On est, à cette époque, dans une logique de course aux armements. Est-ce qu’on est encore dans cette logique aujourd’hui ? Depuis 2010, tous les États dotés d’armes nucléaires, sans exception, étendent la durée de vie de leurs arsenaux. Et là, plus récemment, on assiste à échelle massive, à une remilitarisation du monde avec une augmentation de tous les budgets d’armement. 

Il est dit dans la doctrine nucléaire française que si les intérêts vitaux de la nation sont un jour menacés, l'emploi de l'arme nucléaire sera justifié. Mais concrètement quel repère pourrait-on définir en termes géographiques ? 

C’est le Président qui définit les conditions d’emploi d’une arme nucléaire ainsi que les intérêts vitaux. Après, il existe une vieille tradition stratégique française qui provient d’un des plus grands stratèges français, le général Lucien Poirier, qui écrivait dans les années 1970 que même s’il y avait une attaque nucléaire contre la Guadeloupe, cela n’engagerait pas l’arme nucléaire française, avec la possibilité d’une invasion territoriale.

Que se passe-t-il si une frappe nucléaire touche la France ? Existe-t-il un plan pour garantir la survie des institutions après une telle catastrophe ?

Il y a ce qu’on appelle la chaîne de commandement nucléaire, avec autorité de dévolution. Si le Président est dans l’incapacité d’ordonner la riposte, alors cette autorité est dévolue au Premier ministre, et puis au président du Sénat. Si on arrive au bout de cette chaîne de dévolution, le Président peut choisir de manière totalement arbitraire, détail assez significatif – une personne – que l’on appelle l’inconnu de province. Cet « inconnu » empêche la décapitation de l’État et permet de garantir la possibilité d’une riposte. Il y a donc ici quelque chose d’assez intéressant. Dans le scénario d’une guerre nucléaire, ce que l’on cherche à faire durer, ce n’est pas la démocratie, mais c’est l’État, plus l’État nucléaire, la structure qui est capable de produire une riposte nucléaire. 

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