Selon une enquête menée par L’ObSoCo, Arte et la Fondation Jean-Jaurès en 2022, 53 % des Français se déclarent touchés par un sentiment de fatigue informationnelle. Ce chiffre n’est pas qu’une statistique : 38 % des sondés affirment en souffrir au point de modifier leur comportement face aux flux constants d’information. Chaque jour, un Français jongle en moyenne avec 8,3 sources d’information. Télévision, radio, réseaux sociaux… Cette multiplicité des canaux n’est pas anodine. Elle constitue la base d’une surcharge cognitive parfois insoutenable.
L’ère de l’« infobésité » n’épargne personne. Ce terme, popularisé par C. Sauvajol-Rialland, décrit un phénomène où le cerveau, surchargé, peine à transformer les flux d’information en quelque chose de compréhensible et utilisable. Selon elle, « Avec un tel flot d’actualités, notre esprit n’arrive plus à prendre du recul, et notre capacité à comprendre et mémoriser est atteinte. » Le problème dépasse la simple fatigue ; il impacte profondément la santé mentale. Stress, anxiété, voire dépression figurent parmi les symptômes de cette pression incessante.
Trop d’infos… tue l’info
Les impacts de la fatigue informationnelle ne se limitent pas à l’individu. Guénaëlle Gault, directrice générale de L’ObSoCo, souligne un risque majeur : « Aujourd’hui, on ne peut pas être un citoyen complet si on n’a pas compris l’univers informationnel dans lequel on va évoluer. » Cette surcharge cognitive entraîne un désengagement croissant vis-à-vis des médias. Pour beaucoup, se couper de l’actualité est devenu une stratégie de protection. Cependant, cette fuite a un coût : la vitalité démocratique en souffre.
Au sein des profils étudiés, deux catégories se dessinent. Les « hyperconnectés épuisés », avides de nouveautés, vivent dans une peur constante de manquer une information importante, un phénomène amplifié par les réseaux sociaux. À l’inverse, les « défiants oppressés » se méfient des médias et peinent à hiérarchiser ou analyser les flux incessants d’actualités. Ce déséquilibre rend la formation d’opinions informées plus difficile que jamais.
Ce que l’obésité fait à notre corps, l’infobésité le fait à notre esprit. Privés de recul et d’analyse, les citoyens risquent de devenir spectateurs passifs plutôt qu’acteurs éclairés de la démocratie.
La saturation d’information nous pousse paradoxalement à chercher encore davantage de données. Cette boucle, alimentée par les algorithmes des plateformes numériques, exacerbe les symptômes de fatigue. Pour rompre ce cycle, les experts appellent à une régulation de la consommation d’information.
Face à cette crise, les experts appellent à une révision profonde de notre rapport à l’information. Selon G. Gault et D. Medioni, auteurs de l’étude, « Comme l’obésité, qui consiste à ne pas métaboliser les graisses en énergie, l’‘infobésité’ nous empêche de métaboliser l’information en connaissance et donc ultimement en compréhension et en décision. » Cette analogie souligne un enjeu crucial : réapprendre à consommer l’information de manière équilibrée pour préserver notre santé mentale et notre rôle citoyen.
Des initiatives émergent pour accompagner cette transition. Des ateliers de sensibilisation à la gestion de l’information sont organisés dans certaines entreprises et établissements scolaires, tandis que des campagnes de sensibilisation mettent en lumière l’importance de limiter le temps passé sur les réseaux sociaux. Ces actions visent à rétablir un équilibre en encourageant une approche sélective et qualitative de l’actualité.
Des acteurs (ir)responsables face aux enjeux ?
Si les individus ont leur part de responsabilité, les médias et plateformes numériques jouent également un rôle central. Le déferlement constant d’actualités est souvent encouragé par les algorithmes, qui privilégient les contenus les plus engageants – souvent sensationnels – au détriment de l’information contextuelle et nuancée. Cette logique alimente le phénomène de la « Fear of Missing Out » (FOMO), exacerbant la surcharge informationnelle.
Certains médias, conscients du problème, ont commencé à expérimenter des formats alternatifs. Par exemple, la création de résumés hebdomadaires ou de journaux thématiques permet de réduire l’exposition à un flux continu et anxiogène. D’autres plateformes intègrent désormais des outils permettant de suivre le temps d’écran ou de limiter les notifications.
La fatigue informationnelle n’est pas un phénomène uniquement français. Dans de nombreux pays occidentaux, les citoyens ressentent une saturation similaire, alimentée par une fragmentation accrue des sources d’information. Aux États-Unis, par exemple, une étude du Pew Research Center révèle que 66 % des Américains se sentent dépassés par la quantité d’actualités qu’ils reçoivent quotidiennement. Les plateformes sociales globales, comme Twitter et Facebook, agissent comme des amplificateurs, homogénéisant cette expérience de surcharge.
L’éducation à l’information ne se limite pas à éviter les fake news. Elle doit aussi enseigner à consommer moins mais mieux, pour regagner un contrôle sur nos rapports à l’actualité.
Pourtant, des solutions existent. Dans les pays scandinaves, des campagnes publiques ont été menées pour éduquer les citoyens à une consommation raisonnée de l’information. Des initiatives similaires pourraient être envisagées en France, en collaboration avec les médias et les organismes éducatifs, afin de sensibiliser dès le plus jeune âge.
Pour lutter contre la fatigue informationnelle, une démarche proactive est nécessaire. Cela inclut non seulement un changement dans les habitudes personnelles – comme privilégier des moments sans écran ou se concentrer sur des sources d’information fiables et synthétiques – mais aussi une régulation accrue des flux d’information par les autorités compétentes.
La France peut s’inspirer des bonnes pratiques à l’étranger, notamment en éduquant les citoyens à identifier les biais et manipulations médiatiques. Les outils numériques doivent évoluer pour mieux soutenir cette transition. Certaines plateformes commencent à proposer des fonctionnalités comme des modes de « bien-être numérique », limitant l’exposition prolongée aux actualités.
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