Depuis la crise de 2008, l’Europe a multiplié les signaux contradictoires. Puissance économique, mais dépendante des investissements étrangers. Espace de stabilité, mais incapable d’imposer une vision diplomatique unifiée. Troisième marché mondial, mais fragile face aux stratégies protectionnistes américaines et chinoises. La réunion de Budapest du 7 novembre 2024 s’est voulue un tournant : pour la première fois, les dirigeants européens ont assumé un discours offensif, mettant en avant des mesures de protection commerciale, des ambitions militaires renforcées et des alliances stratégiques repensées. Mais au-delà des intentions, l’Europe a-t-elle les moyens de ses ambitions ?
Date | Événement clé | Chiffre clé et contexte |
18 février 2022 | Partenariat stratégique entre l’UE et l’Union africaine pour financer le développement énergétique et économique du continent. | 150 milliards d’euros : montant prévu d’ici 2030 pour contrer l’influence chinoise et sécuriser les matières premières. |
Avril 2021 | Emmanuel Macron se rend à Pékin pour affirmer la place de la France dans les relations euro-asiatiques. | 1 billion de dollars : somme investie par la Chine dans les « nouvelles routes de la soie », visant à renforcer son influence commerciale. |
Décembre 2021 | La France engage un dialogue avec Vladimir Poutine avant l’invasion de l’Ukraine, cherchant à préserver un canal diplomatique. | 11,4 milliards d’euros : aide financière du Japon pour l’Ukraine, marquant l’implication croissante d’acteurs extérieurs en Europe. |
7 novembre 2024 | Sommet européen à Budapest : l’UE tente de poser les bases d’une politique industrielle et militaire commune. | Première armée de l’UE : la France reste la principale puissance militaire, avec une autonomie stratégique unique et l’arme nucléaire. |
29 octobre 2024 | L’UE renforce les barrières commerciales contre la Chine, notamment dans le secteur automobile. | 35 % de droits de douane sur certaines voitures électriques importées, en réaction aux subventions chinoises massives. |
Longtemps perçue comme une force économique dénuée d’impact géopolitique, l’Union européenne tente de renverser cette image. Mais les défis sont considérables. Face à Washington, Bruxelles oscille entre coopération et méfiance. L’élection américaine de novembre 2024 a renforcé l’incertitude sur la solidité du lien transatlantique. Si les États-Unis restent le principal allié militaire de l’Europe, leur politique de plus en plus protectionniste oblige l’UE à repenser son autonomie économique.
Côté chinois, la rivalité est assumée. L’initiative des nouvelles routes de la soie a profondément modifié les équilibres commerciaux mondiaux, offrant à Pékin des relais stratégiques en Afrique et en Europe de l’Est. Bruxelles tente de réagir par le biais du Corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe (IMEC), une alternative aux infrastructures chinoises visant à relier plus efficacement l’Europe aux marchés asiatiques et au Golfe.
La hausse des droits de douane traduit une inflexion majeure dans la politique économique de l’UE. Pour la première fois, Bruxelles assume une confrontation avec Pékin sur le terrain industriel.
Le durcissement des relations commerciales en est une autre illustration. L’alourdissement des droits de douane sur les voitures électriques chinoises marque un tournant : après des décennies de libre-échange, l’Europe adopte une posture plus protectionniste. Cette évolution s’inscrit dans une volonté plus large de sécuriser les industries stratégiques du continent et de limiter la dépendance aux technologies étrangères.
Si les ambitions européennes en matière de puissance sont affichées, elles se heurtent à une réalité incontournable : la dépendance militaire vis-à-vis des États-Unis. L’OTAN reste le garant de la sécurité du continent, et aucun État européen ne possède à lui seul les moyens de rivaliser avec les puissances militaires mondiales.
La France, seule puissance nucléaire de l’UE, tente de combler ce vide. Son industrie de défense reste la plus développée du continent, et Paris s’efforce d’imposer une vision plus souveraine de la politique sécuritaire européenne. Mais sans un engagement plus marqué des autres États membres, cette dynamique risque de rester limitée.
L’Union européenne a beau afficher des ambitions stratégiques, elle reste à la traîne sur le plan militaire. Sans une consolidation de ses capacités de défense, son rôle international restera limité.
L’adoption de la “Boussole stratégique” en mars 2022 visait précisément à pallier ces faiblesses. Ce plan prévoit la création d’une force de réaction rapide de 5 000 soldats d’ici 2025, capable d’intervenir sur des théâtres de crise. Mais ce chiffre demeure largement symbolique face aux enjeux géopolitiques contemporains.
L’Europe se trouve donc face à un dilemme. D’un côté, elle ne peut plus ignorer la nécessité d’une autonomie stratégique. De l’autre, les divisions internes et l’absence d’un budget militaire commun freinent toute véritable montée en puissance.
La question africaine, point de friction en Europe
L’Union européenne ne se contente pas d’affirmer son autonomie face aux États-Unis et à la Chine. Elle cherche aussi à redéfinir ses relations avec le reste du monde, et en particulier avec l’Afrique. Le partenariat stratégique annoncé avec l’Union africaine en février 2022 marque une volonté d’approfondir les liens économiques et diplomatiques avec le continent, dans un contexte où la concurrence chinoise et russe ne cesse de croître.
Avec 150 milliards d’euros d’investissements prévus d’ici 2030, l’UE ambitionne de renforcer les infrastructures, l’éducation et la transition énergétique en Afrique. Cet effort s’inscrit dans une double logique : d’un côté, il s’agit de contrer la mainmise de Pékin sur les grands projets de développement, de l’autre, de garantir un accès sécurisé aux matières premières essentielles à la transition énergétique européenne.
Face à la concurrence chinoise et russe, l’UE tente d’imposer une nouvelle dynamique de coopération avec l’Afrique. Mais pour que ce partenariat fonctionne, Bruxelles devra convaincre qu’elle n’agit pas uniquement par opportunisme stratégique.
Mais cette stratégie est loin d’être un long fleuve tranquille. La Chine est présente en Afrique depuis des décennies et a su tisser des liens économiques solides, notamment à travers ses projets d’infrastructures financés via des prêts avantageux. La Russie, quant à elle, s’est imposée comme un acteur sécuritaire clé, en fournissant un soutien militaire à plusieurs régimes en échange d’un accès privilégié aux ressources minières. Face à ces deux poids lourds, l’UE peine à proposer une alternative réellement compétitive.
Les États africains, longtemps habitués aux discours européens sur la coopération, attendent désormais des actes concrets. Le risque, pour Bruxelles, est de voir ses ambitions perçues comme une simple tentative de reconquête néocoloniale. Sans une approche plus inclusive et sans une réelle mise en œuvre des investissements promis, l’axe euro-africain pourrait rapidement se transformer en une impasse diplomatique.
L’Europe en quête d’une souveraineté économique
Les tensions géopolitiques ont révélé une faiblesse structurelle de l’Union européenne : sa dépendance excessive aux grandes puissances économiques. Qu’il s’agisse de la technologie, des matières premières ou de l’énergie, l’Europe reste vulnérable face aux chocs extérieurs.
La crise des semi-conducteurs en 2021 a été un premier signal d’alarme. La dépendance aux fabricants asiatiques a paralysé plusieurs industries stratégiques européennes, du secteur automobile aux nouvelles technologies. En réponse, Bruxelles a lancé le Chips Act européen, destiné à stimuler la production de semi-conducteurs sur le continent. Avec 43 milliards d’euros d’investissements, l’objectif est de doubler la part de marché de l’Europe dans ce secteur d’ici 2030.
Le secteur énergétique illustre également cette fragilité. L’invasion russe de l’Ukraine a précipité la fin de la dépendance européenne au gaz russe, mais elle a aussi révélé un problème plus profond : l’UE n’a pas encore atteint l’autosuffisance énergétique. Les investissements dans les énergies renouvelables ont été accélérés, mais la transition reste incomplète et expose encore le continent aux fluctuations des marchés internationaux.
Le protectionnisme américain a ajouté une difficulté supplémentaire. Le Protection Act de Washington privilégie les entreprises locales et pénalise les industries européennes, notamment dans les secteurs de l’énergie et de l’automobile. Face à cette menace, Bruxelles peine à répondre de manière coordonnée. Certains États, comme la France et l’Allemagne, appellent à des subventions européennes massives pour soutenir les industries locales, tandis que d’autres restent méfiants face à une intervention trop forte du politique dans l’économie.