Le détroit de Bab-el-Mandeb, large de moins de 20 kilomètres, est un passage maritime essentiel reliant l’océan Indien à la mer Méditerranée via la mer Rouge et le canal de Suez. Cette configuration géographique offre la route la plus directe entre l’Europe et l’Asie, évitant le long détour par le cap de Bonne-Espérance et réduisant ainsi le temps de transit maritime d’environ une semaine, ce qui se traduit par des économies significatives en coûts de transport.
Chaque année, entre 16 000 et 18 000 navires empruntent ce passage, transportant environ 6,2 millions de barils de pétrole par jour, représentant une part substantielle des importations énergétiques européennes. De plus, près de 75 % des exportations européennes vers l’Asie transitent par Bab-el-Mandeb, soulignant son rôle crucial dans le commerce international.
Dates clés | Événements et chiffres marquants |
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1992 | Lewis M. Alexander définit le concept de « chokepoint », appliqué aux détroits stratégiques. |
2000-2009 | La piraterie somalienne connaît un pic, avec des centaines d’attaques recensées contre des navires marchands. |
2014 | Le transit pétrolier via Bab-el-Mandeb atteint 5,1 millions de barils par jour, confirmant son rôle clé dans l’approvisionnement énergétique mondial. |
2018 | Augmentation du trafic pétrolier à 6,2 millions de barils par jour, représentant 10 % du commerce mondial de pétrole. |
Mars 2021 | L’échouage du porte-conteneurs Ever Given bloque le canal de Suez pendant 6 jours, causant des pertes de 60 milliards de dollars. |
Octobre 2023 | Début de l’intensification des attaques des rebelles houthis, menaçant directement la sécurité maritime en mer Rouge. |
Janvier 2024 | Pékin signe un accord avec les Houthis pour sécuriser le transit des navires chinois, marquant une divergence stratégique avec l’Occident. |
Janvier 2025 | Le nombre d’incidents maritimes recensés dans la région double par rapport à l’année précédente, atteignant 60 attaques signalées. |
Le terme « chokepoint », défini par Lewis M. Alexander en 1992, désigne des passages maritimes étroits dont la perturbation peut avoir des répercussions majeures sur le commerce mondial. Bab-el-Mandeb répond parfaitement à cette définition : sa largeur réduite le rend vulnérable aux blocages, et son absence de routes alternatives immédiates accentue sa criticité. De plus, sa position stratégique en fait un point de convergence des intérêts de multiples États, renforçant son importance géopolitique.
Un passage étroit aux implications mondiales
La région de Bab-el-Mandeb est marquée par une instabilité chronique. Entre 2000 et 2009, la piraterie somalienne a constitué une menace majeure pour les navires transitant dans la zone. Plus récemment, depuis l’été 2019, une guerre hybride oppose l’Iran et Israël dans ces eaux, ajoutant une couche supplémentaire de complexité aux dynamiques régionales. En octobre 2023, les attaques des rebelles houthis se sont intensifiées, ciblant spécifiquement des navires civils et militaires en mer Rouge, ce qui a considérablement perturbé les routes maritimes reliant l’Europe à l’Asie.
Les détroits, par leur configuration géographique, sont des points névralgiques où même des acteurs non étatiques peuvent exercer une influence disproportionnée sur le commerce mondial.
Une hypothétique fermeture de Bab-el-Mandeb aurait des conséquences comparables à celle du canal de Suez. Selon une modélisation de Lincoln Pratson, une telle interruption perturberait gravement les flux commerciaux mondiaux. Chaque jour de fermeture du canal de Suez entraîne une perturbation de 9 milliards de dollars de marchandises supplémentaires, illustrant l’impact économique colossal que représenterait une obstruction similaire à Bab-el-Mandeb.
La position stratégique de Bab-el-Mandeb attise les convoitises et exacerbe les rivalités internationales. Les tensions entre l’Iran et Israël, les actions des rebelles houthis au Yémen, ainsi que les intérêts économiques de puissances mondiales comme la Chine et les États-Unis, convergent dans cette région. En octobre 2024, la Chine a refusé de coopérer avec les États-Unis pour contrer les attaques houthis, préférant négocier directement avec les rebelles pour protéger ses propres navires, illustrant la complexité des alliances et des intérêts en jeu.
Bab-el-Mandeb : un « chokepoint » stratégique
L’importance de Bab-el-Mandeb ne se limite pas à son rôle de passage commercial : il est également un point clé dans l’acheminement des ressources énergétiques. Ce détroit est l’un des principaux corridors de transport pétrolier mondial. Avec environ 6,2 millions de barils de pétrole transitant quotidiennement par ses eaux, il représente près de 10 % du commerce mondial de pétrole. En 2014, ce volume était estimé à 5,1 millions de barils par jour, témoignant de l’augmentation continue de sa valeur stratégique. L’Agence américaine d’information sur l’énergie (EIA) identifie Bab-el-Mandeb comme l’un des sept principaux « oil transit chokepoints » dans le monde, au même titre que le détroit d’Ormuz ou le canal de Suez.
La géographie de Bab-el-Mandeb confère à ce détroit une importance stratégique majeure, où la moindre perturbation peut avoir des répercussions mondiales.
Les grandes puissances ont bien compris cette dépendance et assurent une présence militaire dans la région. Les États-Unis, la France et la Chine y maintiennent des bases militaires permanentes, notamment à Djibouti, afin de garantir la sécurité du transit maritime. En réponse à l’intensification des attaques houthis depuis 2023, une coalition dirigée par Washington a été mise en place fin 2023 pour escorter les navires traversant la mer Rouge. Cependant, ces efforts ne sont pas toujours suffisants pour endiguer les menaces croissantes pesant sur la région.
La guerre hybride menée par l’Iran à travers ses alliés houthis illustre parfaitement la manière dont Bab-el-Mandeb est devenu un théâtre de confrontation indirecte. En utilisant des drones et des missiles contre des navires marchands, les Houthis perturbent le trafic maritime et augmentent les coûts d’assurance pour les armateurs. Les tensions géopolitiques exacerbées entre Israël et l’Iran ont encore complexifié la situation. En novembre 2023, le détournement du Galaxy Leader, un navire lié à des intérêts israéliens, a illustré la vulnérabilité des navires civils dans cette zone sous haute tension.
Un terrain de confrontation entre puissances régionales et mondiales
Les puissances économiques comme la Chine et l’Union européenne tentent de sécuriser leurs intérêts dans la région par des négociations et des investissements stratégiques. En janvier 2024, Pékin a conclu un accord avec les rebelles houthis afin d’assurer la sécurité des navires chinois transitant dans la zone, marquant une divergence nette avec la stratégie militaire plus directe adoptée par les États-Unis et leurs alliés.
L’importance de Bab-el-Mandeb dans le commerce maritime mondial est d’autant plus flagrante lorsqu’on observe les conséquences d’événements comparables. En mars 2021, l’échouage du porte-conteneurs Ever Given dans le canal de Suez a entraîné le blocage temporaire de cette artère vitale du commerce international. Pendant six jours, plus de 400 navires ont été immobilisés, et les pertes économiques cumulées ont atteint près de 60 milliards de dollars.
Bab-el-Mandeb est plus qu’un simple corridor maritime : il est un levier de pouvoir entre États et groupes armés, où chaque attaque a des répercussions immédiates sur les échanges commerciaux mondiaux.
Une fermeture prolongée de Bab-el-Mandeb aurait un impact encore plus grave, car elle forcerait les navires à contourner l’Afrique via le cap de Bonne-Espérance, rallongeant les trajets d’une à deux semaines et augmentant les coûts logistiques de 300 à 400 % selon les estimations de l’industrie maritime. Cette vulnérabilité est bien comprise par les acteurs géopolitiques, qui n’hésitent pas à instrumentaliser le détroit comme un levier de pression stratégique.
Face à ces menaces persistantes, les compagnies maritimes doivent désormais intégrer le risque Bab-el-Mandeb dans leurs calculs de rentabilité. Plusieurs grandes firmes, dont Maersk et MSC, ont annoncé en janvier 2024 des hausses tarifaires pour couvrir l’augmentation des primes d’assurance et des frais de sécurité. Certaines compagnies envisagent même de limiter leur passage par la mer Rouge si la situation sécuritaire ne s’améliore pas.
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