Un concept controversé
L’écobordering, tel que défendu par Bardella, repose sur l’idée que la fermeture des frontières constitue une mesure nécessaire pour protéger l’environnement national. Ce discours emprunte des éléments aux pensées malthusiennes et conservatrices. Des figures intellectuelles comme Roger Scruton affirment que seuls les propriétaires d’une terre savent la préserver, car leur attachement est indissociable de la conservation de celle-ci. Dans cette perspective, l’extrême droite adapte cette idée au niveau des frontières, affirmant que les personnes étrangères, perçues comme détachées émotionnellement du territoire français, risqueraient de contribuer davantage à sa dégradation.
Dates Importantes | Chiffres Clés |
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19 septembre 2023 : Jordan Bardella introduit le concept d’écobordering dans le discours du Rassemblement National, reliant la fermeture des frontières à la protection de l’environnement. | 22 pays : Nombre de pays européens où des discours d’extrême droite similaires sur l’écologie se propagent. |
2010 : Aux États-Unis, émergence de discours associant immigration et pollution dans certaines manifestations. | 70 % : Augmentation des mentions d’écologie dans les discours d’extrême droite européens depuis 2015. |
2021 : Étude publiée par Bailey et Turner sur la récupération de l’écologie par l’extrême droite, critiquant le détournement des enjeux climatiques vers un discours anti-immigration. | 1,1 milliard de migrants climatiques attendus d’ici 2050 selon l’ONU, un chiffre souvent détourné pour alimenter la rhétorique de « menace écologique ». |
2024 : François Gemenne alerte sur le détournement des enjeux climatiques par l’extrême droite pour justifier des politiques d’exclusion. | 50 % : Proportion d’électeurs jeunes sensibles à l’argument écologique, cible privilégiée de ces nouveaux discours. |
Cette position met également en avant une forme d’autarcie territoriale, où l’environnement devient un argument pour limiter l’immigration. En 2010, des manifestations aux États-Unis ont fait émerger un discours similaire : certains militants voyaient les migrants comme une cause de pollution accrue, estimant qu’ils viennent de régions aux normes écologiques moins strictes. Une idée qui reflète une tentative de certains courants d’extrême droite de transformer l’écologie en outil de distinction et d’exclusion.
L’écobordering, au-delà de la protection des frontières, symbolise une vision de l’écologie qui divise et exclut au nom de la nation.
Un glissement stratégique de l’extrême droite : de la négation à l’appropriation du discours climatique
Historiquement, l’extrême droite tendait à minimiser, voire nier, l’existence du changement climatique. Toutefois, la montée des préoccupations environnementales, notamment chez les jeunes, a contraint cette idéologie à adapter son discours. François Gemenne, spécialiste des migrations climatiques, observe un tournant : au lieu de refuser l’idée même de crise climatique, la stratégie consiste désormais à la reconnaître tout en trouvant des « coupables » externes.
Les chercheurs Dan Bailey et Joe Turner soulignent que cette rhétorique détourne le problème climatique des véritables enjeux économiques et industriels qui le sous-tendent, pour l’ancrer dans un discours anti-immigration. Selon eux, cette version de l’écologie, centrée sur le territoire national, ignore les causes globales du changement climatique et l’impact de l’économie mondiale, préférant en faire un problème d’influence extérieure. La question du réchauffement climatique, vue ici par un prisme exclusivement national, simplifie le débat au point de transformer l’immigration en menace écologique.
Une écologie centrée uniquement sur les frontières détourne le débat de ses causes économiques et systémiques.
Cette récupération de l’environnement à des fins identitaires suscite des inquiétudes dans le contexte politique européen, où l’influence de l’extrême droite s’étend. Dans plus de 22 pays, un discours similaire se répand, exploitant l’inquiétude écologique pour des stratégies électorales et créant un climat où l’exclusion prime sur la coopération nécessaire pour faire face aux défis globaux. Alors que la crise climatique exige des réponses collectives, le concept d’écobordering symbolise une approche qui, en se concentrant sur le repli national, pourrait s’avérer inefficace face à une menace qui ne connaît pas de frontières.